Résumé de la première partie: Consécutif aux bombardements de la ville de
Marseille, rencontrant des ennuis mécaniques l'équipage de ce Junkers 88 A1 essaie de regagner ces lignes dans un climat d'alerte militaire maximum, et une géographie compliquée. Nous en étions
restés sur ces termes là :
Il arrive rapidement aux environ de
Modane.
Quel calcul a fait l'équipage pendant ce court temps de vol?
Chapitre II
L'équipage espère-il encore franchir les alpes et déboucher sur l'Italie ? Est-il suffisamment expérimenté pour
cette navigation difficile et dispose t-il de cartes suffisamment précises pour trouver des repères de navigation ?
Il regarde certainement avec inquiétude le fond étroit de la vallée qui ne présente maintenant plus aucune possibilité
d'atterrissage de fortune pour un avion de cette taille.
Modane située à 1000 mètres d'altitude est une gare de frontière dotée d’importants effectifs militaires qui gardent
les fortifications défendant les cols de passage vers l'Italie.
Le poste de DCA du fort du Replat qui surplombe la ville disposant d'une mitrailleuse de 13,2 mm, ouvre le feu, quand
l'avion passe au dessus de la gare.
*Un témoignage fiable rapporte que l'appareil a abordé Modane avec un moteur « crachant une
fumée noire et pétaradant », confirmant ainsi sa situation d'agonie.
Des sources militaires rapportent que le Junkers 88 a été abattu (victoire homologuée), peu après 10 heures, par la 5e
section de la compagnie 5/XIV, dotée de mitrailleuses de 13,2mm qui défendait la gare de Modane (source archives du SHD).
Toutefois, les témoignages encore disponibles contredisent cette version.
L’appareil fait une brusque manoeuvre de dégagement en piquant sur la ville puis redresse et reprend son vol sans issue.
Il se déleste de matériel divers, y compris des parachutes, afin de s'alléger. Geste apparemment désespéré. En effet en prenant en compte l'environnement géographique hostile ,afin de gagner de
l'altitude, jeter le lest aurait il été utile et suffisant pour se mettre à l'abri d'une collision? De plus sans parachute qu'adviendra t-il en cas de besoin ?
Vivre ou mourir. Ces aviateurs avaient fait un choix, aller jusqu'au bout de
leur conviction.
L'avion reprend alors difficilement l’altitude nécessaire pour franchir la barrière de l’Esseillon qui marque l'entrée de la
Haute Maurienne et barre la vallée à quelques kilomètres de Modane.
La vallée se resserre, se resserre inexorablement, encore et encore, l'équipage qui s’y engage pour la première fois découvre
au fur et à mesure ses possibilités de navigation. Au loin, elle fait un coude qui masque au pilote son débouché, aucune perspective, aucune vision concrète. Plus besoin des instruments de
bord, le vol à vue est de mise. Les occupants ne voient que le massif de la Vanoise qui leur barre la vue. De chaque côté et devant lui, les montagnes font une barrière proche et continue de
plus de 3000 mètres d’altitude.
Encore deux minutes et il survole de 300 mètres le village de Bramans perché à 1200 mètres .
Ce dimanche 2 Juin 1940, le curé de Bramans a
organisé une procession qui se disperse vivement, effrayée par cet avion en perdition volant à très basse altitude.
Emilien, qui cultive encore aujourd’hui son jardin en face de la Mairie, participait à cette cérémonie et a été témoin du
passage de l'avion.
Probablement sous très forte tension, le pilote aperçoit, immédiatement après Bramans, sur sa droite, une très étroite
vallée latérale marquée par le blanc éclatant de son flanc de gypse à nu. Attiré par cette faille, il pense à un passage qui pourrait déboucher sur l’Italie.
Il n’a eu que quelques secondes pour prendre une décision.
Désespéré, il vire brusquement et s’engage ainsi dans l’étroit corridor qui va le mener à la haute vallée d’Ambin.
Le virage et la prise d'altitude nécessaire ont sollicité toutes les ressources restantes des moteurs. Il longe un temps
la paroi blanche de gypse, au pied du Montfroid, puis le mur vertical de la pointe de Bellecombe. A ce moment, il vole 300 mètres trop bas pour apercevoir
et franchir le col du petit Mont Cenis qui se présente sur sa gauche, et aurait été sa seule échappatoire. Il s’engage donc dans la haute vallée d’Ambin.
Toute la vallée est occupée par des détachements militaires qui attendent une offensive italienne.
Le sergent-chef Fondère qui tient un poste avancé sur la frontière italienne au lieu dit Le Planay voit passer l’avion,
très proche.
Comme tous les autres postes militaires, il a été prévenu du possible passage d’un avion et a fait mettre un
fusil mitrailleur en batterie. Mais il ne tire pas car le brouillard l’empêche d’identifier les marques de nationalité de l’appareil.
En effet, à cette heure du matin, le soleil n’a pas encore dissipé totalement la brume d’altitude.
Le sergent chef sait toutefois que, volant à cette altitude, l’avion est perdu car la vallée d’Ambin est fermée
sept kilomètres plus loin par une barrière de 3300 mètres de haut qui forme frontière avec l’Italie.
L’avion n’a pas la vitesse ascensionnelle suffisante pour franchir l’obstacle. Il vole 200 mètres au dessus du fond
de l’étroite vallée qui fait un brusque coude vers la droite. La visibilité est mauvaise et le lourd bimoteur n’est plus assez manoeuvrant.
Après avoir dépassé le hameau du Planay, l'avion se déporte trop à droite pour négocier son virage et accroche à 2 000
mètres les derniers mélèzes qui poussent à cette altitude. Il s’écrase sur une pente très escarpée, à flanc de montagne. Les restes de l’épave sont dispersés sur 400 mètres.
Les quatre aviateurs sont tués et leurs corps carbonisés dans l’incendie que provoque l'écrasement de l'appareil. Ces
militaires auraient ils pu sauter s'ils avaient conservé leur parachute ? Pourrions-nous évoquer le don de soi au nom d'une cause, d'une conviction ?
Le lendemain, des soldats de la 1° compagnie du 281° Régiment d’Infanterie enterrent les corps sur place, en haute
montagne. C’est le sergent Guy, menuisier de son métier, qui fabrique les croix en bois qui marquent l'emplacement des tombes.
Les 5 mitrailleuses de l’appareil sont récupérées en plus ou moins bon état.
Deux mois plus tard, le 28 Juillet 1940, les autorités italiennes qui occupent la vallée font exhumer les corps pour les
enterrer dans la vallée, dans le cimetière de guerre installé au pied de l’église de Bramans.
Ce cimetière accueille déjà les dizaines de soldats italiens tués dans l’offensive du Mont Cenis du 20 Juin.
Une pale d’hélice y est placée en hommage aux aviateurs. Elle y restera plusieurs années.
Un bulletin paroissial rapporte qu'un dimanche de l’été 1941, les familles des aviateurs sont venues se recueillir sur
place accompagnées du consul allemand de Turin.
Une partie des restes de l’avion, difficilement accessibles, ont été enlevés par les italiens pour récupérer les métaux
rares à l'époque.
De nombreuses années plus tard, la commune a fait enlever les restes de l’épave.
En cherchant sur les pentes difficiles d'accès, on peut encore repérer le lieu de la chute de l'appareil par la présence de
quelques tôles d’aluminium froissées par le choc.
Une plaque d'immatriculation trouvée sur place a permis d’identifier l’avion. Il s'agit d'une plaque technique
(*production des fuselages )par l'avionneur HENSCHEL (logo en haut à gauche ) qui était sous licence JUNKERS. Le poinçon en bas à droite
correspond au cachet du contrôleur.
Document communiqué pat Dominique Dupérier
Elle porte les inscriptions suivantes:
Best Nr 54835 / 12
Zeichn Nr 88.651-74
Typ U Grp JU 88 A-1
Le ministère de l’air du III ème Reich avait imposé aux constructeurs une cadence mensuelle maximum de 300 appareils. Pour
cela la fabrication des Junkers 88 s’organisait dans tout le pays et en partenariat avec plusieurs constructeurs. En effet, les fuselages étaient produits à ASCHERSLEBEN, les voilures à
HALBERSTADT, les empennages à LEOPOLDSHALL, et le montage final et les essais de production à BERNBURG.
En 1944 plusieurs autres firmes participèrent à la production de pièces détachées ou d’avions complets principalement ATG à
Leipzig-Mockau, SIEBEL à Halle, et d’autres en France et en Tchécoslovaquie. C’est pour ces raisons que nous
recensons sur différents éléments retrouvés sur le terrain, les logos et autres inscriptions des partenaires ou sous-traitants
La proximité des lieux de production et le partenariat important, est peut être une des clés essentielles de la réussite de cet
appareil.
Organisation de la production
Groupe 0 cadence 65 appareils mensuel
Junkers Aschersleben pour le fuselage
Junkers Halberstadt pour les ailes
Junkers Léopoldshall pour l’empennage arrière
Junkers Bernsburg pour l’assemblage final
Junkers Dessau pour la fabrication des métaux
Groupe 1 cadence 80 appareils mensuel
AEG pour l’empennage
Arado pour les ailes
*Henschel pour le fuselage et le montage des moteurs
Groupe 2 cadence de 70 appareils mensuel
Heinkel à Oranienburg pour les ailes
Dornier à Wismar pour le fuselage et l’empennage arrière
Groupe 3 cadence de 35 appareils mensuel
Dornier pour les ailes, le fuselage et l’empennage arrière
Groupe 4 cadence de 50 appareils mensuel
ATG pour le fuselage et l’empennage arrière
Siebel pour l’empennage arrière et les ailes
Aujourd’hui, les dépouilles des aviateurs reposent dans le cimetière militaire allemand de Dagneux dans le département de
l’Ain où reposent 19 913 soldats allemands tués et rapatriés de vingt sept départements (Sud Est) de la France
Kibele Paul, Oberleutnant, 17.04.1914 - 02.06.1940, Block 19, Grab 407
Köppl Georg, Feldwebel, 30.11.1911 - 02.06.1940, Block 19, Grab 408
Schultzki Max, Oberfeldwebel, 29.10.1911 - 02.06.1940, Block19, Grab 409
Bauer Robert, Unter-offizier 18.04.1915 – 02.06.1940, Block 19, Grab 410
Des recherches ont permis de retrouver 2 personnes ayant un lien de parenté avec l'équipage:
En 2009 le neveu de l'oberleutenant Paul Kibele
En 2010 la fille du Feldwebel Georg Köpll
Après consultation des anciens combattants de la Haute Maurienne, le conseil municipal de Bramans a décidé de convier les
familles à une cérémonie dans un esprit de réconciliation et d'amitié entre les peuples.
Le 10 juin 2011, une cérémonie a été organisée avec dépôt de gerbe et dévoilement d'une plaque en présence
des représentants des familles, des anciens combattants, des représentations militaires Françaises et Allemandes , du consul général d'Allemagne, de l'attaché militaire de l'ambassade
Allemande et de la population.